Une marque peut-elle avoir un rôle éducatif aux yeux de ses clients ?
Cette semaine nous donnons la parole à Béatrice Mandine, Directrice de la Communication d'Orange
Béatrice Mandine, Directrice de la Communication d'Orange
Corentin Bougaran : Pouvez-vous nous parler de votre parcours jusqu'à aujourd'hui ?
Béatrice Mandine : On peut dire que j’ai eu un parcours de bonne élève. J’étais assez douée en mathématiques, j’ai donc naturellement choisi un bac C (actuellement bac S), bien que j’aimais aussi beaucoup écrire. J’ai cherché ma voie pendant plusieurs années : prépa véto, médecine, maths sup… Finalement, je n’ai pas eu de coup de foudre pour ces filières. Je me suis orientée vers l’école supérieure de journalisme pour élargir mes horizons. C’est là que j’ai eu le déclic !
On peut dire que je suis un exemple typique de la mauvaise orientation dans le système scolaire français. (Sourire) J’ai ensuite travaillé comme journaliste chez Marie-Claire et au Figaro, avant de rejoindre la Compagnie Générale d’Électricité, qui est devenue Alcatel Alstom, puis Alcatel, avant de disparaître complètement en tant que marque. Mais pour moi, ce fut une formidable découverte du monde des télécommunications.
Par la suite, j’ai quitté le journalisme pour rejoindre le service de presse d’une entreprise. J’ai passé quelques années dans un groupe automobile, PSA, avant de revenir à mes premiers amours : les télécoms, chez Orange. Cela fait maintenant 10 ans que je suis ici. J’ai d’abord dirigé le service de presse, puis j’ai été promue Directrice de la Communication Adjointe, pour finalement devenir Directrice de la Marque depuis 6 ans, tout en siégeant au Comex du groupe.
J’ai découvert le branding et la gestion de marque sur le tard, car ce n’était pas ma formation initiale, mais cela m’a tout de suite plu. C’est un domaine à la fois intellectuel et créatif, et j’adore la création. Quand on aime écrire, on aime aussi créer !
C.B : Quelle est votre définition d'une marque ?
B.M : Une marque, c’est un signe de reconnaissance, un étendard commun, un bien commun pour une entreprise. C’est quelque chose qui aligne les énergies et qui nous représente tous !
C.B : Avec la diversification des produits et services d'Orange, n'est-il pas complexe de garder une certaine homogénéité pour la marque orange ?
B.M : Pour rappel, Orange est une marque anglaise créée en 1994 par un visionnaire, Hans Snook. Elle a toujours été singulière, car à l’époque, toutes les marques du secteur télécom portaient des noms se terminant en « tel » ou « com ». C’était donc un choix surprenant pour l’époque.
Quand France Télécom a racheté Orange en 2000, ils ont tout de suite perçu le potentiel d’internationalisation de cette marque. Aujourd’hui, notre philosophie est « Human Inside », car nous croyons que la technologie est un progrès lorsqu’elle apporte un bénéfice à l’Homme.
Lorsque vous avez établi une marque aussi forte que la nôtre, cela vous permet, comme on dit dans notre jargon, de faire du « stretching », c’est-à-dire d’étendre la marque au-delà de son cœur de métier. Cela nous a permis de créer une banque, Orange Bank. Cela n’abîme pas la marque Orange, mais donne à cette banque une dimension universelle, quotidienne et digitale, tout en s’appuyant sur les attributs de la marque Orange. Nous appliquons la même approche pour des services comme Maison Connectée ou Maison Protégée. Notre travail consiste à simplifier la vie de nos clients : c’est simple à formuler, mais beaucoup plus complexe à mettre en œuvre ! (Sourire)
C.B : Que pensez-vous du mouvement qui s'intéresse à la raison d'être des entreprises avec la loi PACTE ?
B.M : Cette loi est une belle opportunité pour les entreprises françaises ! Tout le monde est sur le sujet. En réalité, dans le domaine du branding, la question du « purpose » n’est pas nouvelle. Cependant, mettre ce sujet à l’ordre du jour permet de donner une impulsion positive.
Chez Orange, nous avons saisi cette opportunité, bien que cela faisait déjà partie de nos réflexions. Nous avons mené cette réflexion sur la raison d’être de manière typiquement Orange, c’est-à-dire en co-construction, en concertation avec les salariés du groupe. Nous avons organisé cela sur Twitter et via notre intranet. Ce qui est surprenant, c’est que, bien que cette démarche soit avant tout interne, c’est Twitter qui a le plus fonctionné.
Nous avons ensuite consulté de nombreuses parties prenantes du groupe : le Comex, 50 autres parties prenantes telles que des organisations syndicales, des administrateurs, d’anciens dirigeants, des ONG… Nous avons proposé une rédaction de la raison d’être d’Orange : « Orange est l’acteur de confiance qui offre à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable ». La boucle sera bouclée lorsque nous l’inscrirons dans nos statuts lors de la prochaine AG en mai. Ce sera l’accomplissement de ce projet.
C.B : Pouvez-vous nous parler de votre dernière campagne "Bien vivre le digital" ? Pourquoi une telle initiative ?
B.M : Nous sommes convaincus que, en tant que leader du digital, il est essentiel d’être conscient des risques que le numérique peut engendrer. Les premiers risques concernent surtout les enfants, d’où notre campagne de sensibilisation sur le temps passé devant les écrans. Le slogan est : « Nous avons tous de grands pouvoirs, nous avons tous de grandes responsabilités. » Cette responsabilité est double : la nôtre, en tant que fournisseur de services, et celle de nos clients qui les utilisent.
Nous avons également lancé une campagne de sensibilisation au phishing, avec le fameux forfait 6G à 0€ ! C’est donc une posture de responsabilité que nous adoptons. Nous sommes conscients des usages numériques, et nous pensons qu’il y a un travail de sensibilisation à faire auprès de nos clients. Mais nous restons convaincus que ce que nous vendons est un progrès pour l’humanité, et je suis tout à fait à l’aise avec cela ! (Sourire)
Orange, c’est une marque avec une vision positive et optimiste du monde.
Campagne : Bien vivre le digital. Orange
C.B : Vous souhaitez éduquer vos clients aux nouvelles pratiques des médias sociaux. Mais justement, ces médias sociaux décentralisent de plus en plus la communication (BtoC à CtoC). Comment Orange parvient-elle à rester au centre des discussions de ses clients ? Comment faire pour prendre la parole et être entendu ?
B.M : Le plus difficile n’est pas d’être entendu, car nous avons une puissance de feu proportionnelle à la taille de l’entreprise qu’est Orange. Le plus difficile, c’est de choisir ses combats. En tant que directrice de la communication d’Orange, le plus difficile pour moi, c’est de déterminer les terrains de légitimité sur lesquels nous pouvons et devons nous exprimer. Le terrain de la responsabilité en est un, tout comme les engagements en faveur de l’urgence climatique ou la 5G.
Je pense également qu’il est important de marquer son territoire, par exemple en matière de recyclage des mobiles. J’aimerais qu’à la fin de l’année 2020, les clients sachent qu’Orange a lancé ce mouvement. Et nous aurons prouvé notre crédibilité et notre capacité à faire avancer les choses.
Le temps où les marques pouvaient dire « j’ai l’intention de… » et être crues sur parole par les consommateurs est révolu. Lorsque vous prenez l’initiative sur un sujet, vous devez apporter des preuves concrètes.
Dans mon rôle de Directrice de la Communication, le plus difficile est donc de rationaliser et d’organiser ces différents sujets de communication pour qu’ils servent l’image d’Orange. Obtenir de la cohérence est un défi, tout comme creuser notre propre sillon.
C.B : Que pensez-vous des marques qui confient une grande partie de leur communication à des consommateurs influents ?
B.M : Je n’ai aucun problème à ce qu’une marque confie les clés de sa communication à des personnes tierces, car d’une certaine manière, lorsque vous communiquez sur les médias sociaux, il y a toujours un retour de la part du public. Le risque que vous prenez est mesuré : il dépend de l’audience de votre interlocuteur. Les médias sociaux ont souvent été décriés, mais ils ont une vertu : celle de démocratiser la parole, un peu comme un café du commerce industrialisé.
Grâce à ce retour d’information, les marques ont dû adopter une certaine sincérité. Chez Orange, nous avons commencé à utiliser les médias sociaux pour la relation client. Jusqu’à preuve du contraire, en France, la parole est libre. Une marque ne peut pas jouer le rôle de la police, mais elle a la responsabilité de surveiller ce qui se dit et d’y apporter des réponses.
C.B : Quelle est votre vision de la communication à 10 ans ?
B.M : Je n’ai malheureusement pas de boule de cristal ! La communication en entreprise devient de plus en plus importante et occupera une place prépondérante d’ici 10 ans. L’époque où l’on disait : “Pour vivre heureux, vivons cachés !” est révolue. La communication devient plus stratégique, car elle est de plus en plus complexe. Il faut parvenir à délivrer un message cohérent à un public de plus en plus diversifié.
La communication est d’autant plus essentielle dans la stratégie de l’entreprise que, si vous ne parvenez pas à embarquer vos salariés et vos clients, vous n’irez nulle part. Quelle forme cela prendra ? Je ne sais pas. Les formats changeront, mais l’idée restera. Il faut toucher l’émotion, quel que soit le format, car c’est finalement ce qui compte le plus.
Je reste assez optimiste, car, en regardant l’évolution de ma carrière, ce que la marque m’a appris, c’est l’importance de l’Idée : créer l’Idée, trouver l’Idée. Je pense que nous allons revenir à l’essentiel dans un monde en perpétuel changement : l’Idée, l’émotion, et le bon moment. Je ne suis pas certaine que cela changera dans 10 ans. Le format reste finalement accessoire, car ce n’est qu’un moyen.
Finalement, je reste assez optimiste, tout comme la marque Orange. C’est d’ailleurs pour cela que nous nous entendons si bien ;-)
Merci à Béatrice d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
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