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Comment concilier le monde physique et numérique dans le retail ?


Cette semaine nous interviewons Jonathan Trepo, Directeur Général de la Compagnie Marco Polo et ancien Directeur Général de Zalando France.

Jonathan Trepo

Corentin Bougaran : Peux-tu nous parler de ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Jonathan Trepo : Je suis Lyonnais et j’ai 34 ans, diplômé d’HEC en 2008.

J’ai toujours eu une vocation pour le retail.


J’ai commencé en faisant de l’immobilier commercial chez Unibail Rodamco où j’étais Asset Manager : je gérais des centres commerciaux en France.

J’ai fait ça durant 2 ans et après j’ai voulu basculer du côté des enseignes. 

À l’époque j’ai eu la chance de rencontrer les fondateurs de The Kooples, marque qui venait d’être lancée.

J’ai commencé en tant que directeur du développement : j’ai ouvert plus de 100 boutiques en 5 ans. J’y suis resté 7 ans, époque durant laquelle nous sommes passés de 10 millions de chiffre d’affaires à 230 millions.

Durant cette période j’ai évolué et je suis devenu directeur multicanal en m’intéressant de plus en plus à la vente online.

Le commerce physique étant très empirique, je trouvais ça fascinant de pouvoir tout mesurer, tout quantifier grâce au online (c’est peut-être dû à mon background analytique).

Je trouve que le online est très gratifiant et excitant intellectuellement.


Par la suite j’ai eu la chance d’être chassé par Zalando pour diriger le marché français et accélérer la croissance, en étant basé au siège à Berlin. 

En l’espace de 2 ans, la France est passé de vilain petit canard à locomotive en matière de croissance pour Zalando. Ce fut un formidable apprentissage en matière de culture client et de eCommerce. Passionnant et extrêmement formateur.


Plus récemment, j’ai pu faire la connaissance de Xavier Marie, fondateur de Maisons du Monde. A l’époque il commençait à faire des acquisitions dans le secteur de la mode haut de gamme.

On s’est rencontré au moment où il terminait l’acquisition de la marque Eric Bompard, ce qui donnait au groupe une nouvelle échelle.

Nous avons sympathisé et il m’a proposé de devenir le Directeur Général du groupe avec un portefeuille de 9 marques françaises haut de gamme parmi lesquelles Eric Bompard donc mais aussi Bonton, Paule Ka, Le Petit Souk et les marques de chaussures du Groupe Rautureau. C’est le poste que j’occupe aujourd’hui.

C.B : Quelle différence fais-tu entre la relation et la communication ? Comment interagissent le monde physique et numérique selon toi ? En quoi sont-ils complémentaires ?

J.T : Lorsqu’on parle de communication on parle de quelque chose d’unidirectionnel alors qu’en matière de relation cela suppose davantage de symétrie et de réciprocité.


Dans la relation il y a de l’écoute, alors que la communication peut avoir le défaut d’être plus top down, froide et distanciée.

C’est un peu le monde du passé et du futur.


Dans le secteur que je connais bien, la mode, le marketing est quelque chose d’assez statutaire : on impose ce qui est beau et ce qui ne l’est pas, ce qui est tendance et ce qui ne l’est pas.

Je m’aperçois qu’aujourd’hui la communication évolue dans ce secteur : c’est davantage une relation avec de l’écoute et de l’empathie, de l’intimité alors qu’avant il y avait plutôt une distance délibérée.


 

"C’est d’ailleurs pour cela que c’était compliqué pour les marques de mode de s’approprier les médias sociaux et de travailler avec les influenceurs.

Parce que pour les marques de mode (c’est encore plus vrai à mesure qu’elles sont haut de gamme), il y a une obsession du contrôle."

 

Sur le sujet de l’interaction du monde physique et numérique, c’est un peu la question de notre siècle, en tout cas celle de notre génération.

On est encore en phase de découverte : de nos jours le comportement est excessif mais cela va devenir plus raisonnable 

Je pense qu’au lieu de se demander comment faire cohabiter ces deux mondes, il faudrait plutôt s’interroger sur la réelle valeur ajoutée de chacun d’entre eux à terme.

Avec mon expérience je me suis rendu compte que le digital est performant sur une dimension très informative et fonctionnelle : tu sais ce que tu veux, dans un délai très court, avec un choix infini avec une possibilité de tout comparer.

Dans cette dimension fonctionnelle et transactionnelle, le digital est forcément le plus performant.

En revanche quand tu arrives sur des dimensions de découverte, d’expérience, d’émotion et d’intimité, à ce moment là on se rend compte que le digital est assez démuni et que le physique prend tout son sens.


 

"C’est important d’avoir cette radicalité parce que ça permet de soulager chacun des canaux pour les recentrer sur les choses où ils sont performants.

Le point de vente qui était un lieu historiquement transactionnel, devient aujourd’hui un lieu d’émotion et donc un pur produit marketing à part entière."

 


C.B : Comment interprètes-tu l'avènement des adblockers ?

J.T : C’est quelque chose d’assez phénoménal : 40% des utilisateurs d’internet en sont aujourd’hui équipés.

Les motifs essentiels sont connus : la pression imposée avec les formats intrusifs, la dimension d’un contenu qui dérange, et évidement tout ce qui touche aux notions de Privacy. 

C’est la démonstration que la pub digitale va droit dans le mur !

On ne pense pas assez à l’expérience publicitaire de marque, à sa cohérence. 

Aujourd’hui l’internaute choisi le où, le quand et le comment : ils ont repris le pouvoir.

Donc imposer une pub ne me parait pas être le plus pertinent. Le temps des débuts de l'internet où j'accepte la pub parce que j'ai du contenu gratuit, est révolu.


Dans la mode il y a une boulimie de contenus qui est imposée par l’accélération de la fréquence auxquelles sortent les collections et l’addiction générée par les réseaux sociaux. Mais cette frénésie et cette course au volume, qui se font souvent au détriment de la qualité et de la créativité, ne sont clairement pas durables.

C.B : Avec la décentralisation de la communication, les marques peuvent désormais écouter sur les médias sociaux les désirs des consommateurs. Comment fais-tu pour rester au centre des discussions de tes clients ?

J.T : La décentralisation de la communication est un sujet particulièrement brûlant.

Dans le groupe Compagnie Marco Polo, nous avons investi sur des marques qui avaient des communautés de fans (aussi bien du produit, de la marque, de ses valeurs, ou de l’histoire).

Car ce sont les communautés d’ambassadeurs qui font tout la valeur d’une marque. 


Comme le disait Paul Graham le premier investisseur dans AirBnB, mieux vaut 100 personnes qui adorent votre marque que 1 million de personnes qui ne l’aiment que modérément.

Nous essayons d’ailleurs dès que c’est possible de donner la parole aux clients au travers d’enquêtes clients, de focus groupe… L’enjeu aujourd’hui c’est d’être le plus réactif possible sur la prise en compte de ces feedbacks clients.

Concernant le social listening, nous sommes évidemment équipés d’outils.

En matière d’influence, je pense que dans la mode nous arrivons au bout du modèle, parce que l’authenticité des influenceurs est de plus en plus remise en question.

Dans le groupe nous avons adopté un parti-pris fort : ne pas travailler en priorité le reach mais plutôt la relation. Nous avons blacklisté de nombreux influenceurs « hommes sandwich ». 

Nous sommes moins sur le earned media que sur le content.



 

"Nous donnons au travers de nos marques, les moyens aux influenceurs d’exprimer leurs propositions créatives."


 


Avec nos marques, nous nous adressons à des clients sophistiqués et cette indécence en matière d’influence (couvrir des influenceurs de cadeaux et de voyages) dans le domaine la mode ne correspond pas à notre positionnement et nos valeurs.

C.B : Avec les médias sociaux, nous sommes passés d'une ère de séduction à une ère de réputation : quelle données exploites-tu pour mesurer votre réputation ?

J.T : Nous la suivons évidemment de très près, parce que plus le positionnement prix est élevé plus il y a une intransigeance au sujet de la réputation d’une marque.

Nous pilotons cette veille au travers du NPS. Le Net Promoteur Score est devenu absolument clef.


Nous sommes passés d’une ère très transactionnelle (Chiffre d’affaires immédiat), à une ère où c’est davantage la CLV (Customer Lifetime Value) qui prime.

La CLV consiste à regarder le cycle de vie moyen de ton client et en cumulant les profits sur cette période.

Plus ton NPS est élevé, plus le bouche à oreille fonctionnera et moins tu es susceptible de perdre de clients et donc in fine ton CAC (Coût d’Acquisition Client) baissera.


Chez Zalando on ne pilotait le business qu’au NPS !

Je me souviens d’un article qui citait une marque se ventant d’avoir fait +80% de chiffre d’affaires durant le BlackFriday. Mais il n’y a pas de quoi se réjouir, car faire +80% de chiffre d’affaires c’est intenable en matière de promesse client, notamment vis-à-vis du respect de la promesse de délai de livraison.

Chez Zalando nous étions capables d’atteindre de tel niveau de croissance mais on se limitait volontairement à, par exemple, +40% pour protéger notre NPS.



 

"Maximiser la croissance de son chiffre d’affaires permet de capter beaucoup d’argent sur l’instant, mais cela détruit beaucoup de valeur sur le long terme auprès de tes clients."

 


La vraie « customer centricity » c’est piloter son business au travers du NPS ou d’un autre indicateur de satisfaction client pertinent.

Nombreux sont ceux qui ne comprenaient pas ma mission en tant que Directeur Général, parce que je passais plus de temps à freiner le business (et toutes les logiques d’acquisition de trafic et leviers promotionnels) parce que ma seule obsession c’était le client afin de créer de la valeur sur le long terme.

Si la croissance se fait au détriment du client, c’est scier tout simplement la branche sur laquelle on est assit.


Quand je m’occupais de la gestion des centres commerciaux chez Unibail Rodamco, j’avais d'ailleurs réfléchi à l’idée de variabiliser une partie des loyers en fonction du NPS des marques locataires qui étaient présentes. Car si certaines ont un excellent NPS elles rendent les clients davantage heureux et ils reviendront plus souvent et donc généreront du trafic supplémentaire sur l’ensemble du centre.

C.B : Quelles données utilises-tu pour enrichir votre offre produits ?

J.T : Nous sommes justement en train de travailler dessus !

Pour l’anecdote, j’ai souvent lu et entendu que l’ambition ultime et l’horizon de rentabilité des plateformes pure players comme Zalando ou Amazon étaient d’imposer leurs marques propres au détriment de leurs marques partenaires en développant les meilleures collections grâce à la donnée collectée.

Mais en réalité c’est une espèce de fantasme.


La plupart du temps, ces collections en propre servent essentiellement à boucher les trous dans un assortiment en couvrant chaque segment de prix de chaque verticale produit et cela dans le but de convertir chaque visiteur intentioniste de la plateforme.


Il n’est pas toujours facile de bien marger sur ces produits car ce n’est pas leur coeur de métier. Sur ce sujet, certains sont d’ailleurs entrain de faire marche arrière.

A la Compagnie Marco Polo, nous collectons déjà un certain nombre de données, notamment les données comportementales.

On utilise les données des réseaux sociaux aussi bien sur les produits que sur la communication.


Sur le marché de la mode ce qui est très intéressant ce sont les prédictions de tendances avec les technologies de reconnaissance d’image, croisées à de l’analyse sémantique. Cela permet d’obtenir aujourd’hui des prédictions à 7 mois avec de la fiabilité à hauteur de 80% !

Mais ce qui est le plus compliqué, c’est de faire accepter ce genre d’outils par les DA !



 

"Marier créativité et technologie, voilà un des plus grands challenges actuels de l’industrie de la Mode !"

 

Merci à Jonathan d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.

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